Michel Aflak |
Notre héritage socioculturel
Tout ce que l'Islam a accompli sur le plan des victoires et du développement culturel était déjà en germe dans les vingt premières années du message. Avant de conquérir des territoires, les Arabes s'étaient conquis eux-mêmes et étaient descendus au plus profond de leur âme. Avant de gouverner des nations, ils avaient appris à se gouverner eux-mêmes, ils avaient maîtrisé leurs passions et étaient devenus maîtres de leur volonté.
«A la mémoire du Prophète arabe - Avril 1943».
On ne nous verra peut-être pas prier avec les orants ou jeûner avec les abstinents; néanmoins, nous croyons en Dieu car nous avons un besoin pressant de lui. Notre tâche est lourde, notre chemin est difficile et notre objectif est loin d'être atteint. Cette foi ne fut pas notre point de départ mais notre aboutissement. Nous l'avons acquise par la souffrance et les peines. Nous ne l'avons point héritée et elle ne nous a pas été léguée par la tradition. Ainsi est-elle pour nous un trésor précieux car elle nous appartient et est le fruit de nos labeurs.
«A la mémoire du Prophète arabe - Avril 1943».
Jusqu'à présent, on considérait la vie du prophète de l'extérieur, comme une admirable image offerte à notre réflexion et à notre vénération. Il faut maintenant que nous apprenions à la considérer de l'intérieur, ainsi pourrons-nous la vivre.
Chaque Arabe peut désormais vivre la vie du Prophète arabe, même si, comparé à lui, il n'est qu'une pierre par rapport à la montagne, ou une goutte d'eau par rapport à la mer. Bien entendu, aucun homme, aussi grand soit-il, ne saurait accomplir ce qu'accomplit Mouhammad. Mais il est vrai que tout homme, aussi faible soit-il, aussi faibles que soient ses capacités, pourrait devenir un Mouhammad en réduction, dès lors qu'il appartient à la nation qui concentra tous ses efforts pour produire Mouhammad, ou plutôt que Mouhammad réussit par ses efforts à créer. Pendant une certaine période, dans le passé, la vie d'une nation tout entière se trouva résumée en un seul homme. Aujourd'hui, au moment où cette même nation est à l'aube de sa renaissance, il faudrait que tous ses membres s'associent pour réaliser ensemble la vie de son grand homme.
«A la mémoire du Prophète arabe - Avril 1943».
Cela signifie-t-il que l'Islam apparût au seul bénéfice des Arabes? L'affirmer serait fort éloigné de la vérité, et contraire à la réalité.
Chaque grande nation qui se penche sur le sens éternel de l'univers s'avance, dès ses origines, vers les valeurs éternelles et universelles. L'Islam est la meilleure expression du désir d'éternité et d'universalité de la Nation arabe. Il est arabe dans sa réalité, et universel de par ses idéaux et sa finalité. Le message de l'Islam, c'est de créer l'humanisme arabe.
«A la mémoire du Prophète arabe • Avril 1943».
Ce que nous révèle l'Islam, à cette époque d'importance historique, et à ce point crucial de son évolution, c'est que tous les efforts doivent viser à renforcer les Arabes, à les réveiller, et que ces efforts doivent se développer dans le cadre du nationalisme arabe.
«A la mémoire du Prophète arabe • Avril 1943».
Le jour viendra où les nationalistes se trouveront être les seuls à défendre l'Islam. Il leur faudra en dégager son sens particulier s'ils veulent que la nation arabe ait encore de bonnes raisons de survivre.
«A la mémoire du Prophète arabe - Avril 1943".
Le nationalisme laïc de l'Occident est logique avec lui-même lorsqu'il sépare nationalisme et religion. Car la religion est venue en Europe de l'extérieur, aussi est-elle étrangère à son caractère et à son histoire. Cette religion est, par ailleurs une combinaison entre une foi dans l'au-delà et des règles morales. Elle n'a pas été révélée à l'origine dans la langue des peuples d'Occident. Elle ne fut pas l'expression de nécessités créés par leur propre environnement et elle ne se confondit pas avec leur histoire. L'Islam, en revanche, n'est pas une simple foi dans l'au-delà ou un code moral pour les Arabes, c'est aussi l'expression évidente de leur universalisme et de leur attitude envers la vie. L'Islam est l'expression la plus forte de l'unité de leur personnalité, qui intègre le verbe, les sentiments, la méditation, l'action, l'âme et le destin, tout en les harmonisant.
«A la mémoire du Prophète arabe - Avril 1943».
En conséquence, la relation entre Islam et arabisme ne peut être comparée à aucune autre relation entre religion et nationalisme. Les Arabes chrétiens, dès lors que leur sens national sera pleinement éveillé et qu'ils récupéreront leur caractère authentique, reconnaîtront que l'Islam représente pour eux aussi une culture nationale dont ils doivent se laisser imprégner pour parvenir à la comprendre et à l'aimer, jusqu'à ce que l'Islam devienne pour eux le centre de leurs préoccupations et le joyau le plus précieux de leur arabisme.
Si la réalité est encore éloignée de cet idéal, la nouvelle génération d'arabes chrétiens doit accomplir son devoir avec audace et détachement, en sacrifiant leur fierté et leurs intérêts individuels, car rien n'égale l'arabisme et l'honneur de lui appartenir.
«A la mémoire du Prophète arabe - Avril 1943».
L'Islam est l'enfant de la douleur, la douleur de l'arabisme. Cette douleur s'est abattue sur la terre arabe à un degré et avec une profondeur inconnus même des Arabes de la Jâhilyah (le pré-Islam). Ces souffrances devraient maintenant nous inciter à une révolution qui fera table rase, une révolution semblable à celle dont l'Islam fut le porte-drapeau. Seule la nouvelle génération arabe peut endosser les responsabilités d'une telle révolution et comprendre sa nécessité, parce que les souffrances actuelles l'y auront préparée. L'amour qu'elle porte à sa terre et à son histoire l'ont préparée à réaliser l'esprit de l'arabisme et à orienter la nation.
«A la mémoire du Prophète arabe - Avril 1943».
La véritable glorification de l'héroïsme est d'y participer, et d'en connaître le prix après les souffrances et les expériences. Personne ne peut donner une juste appréciation du héros s'il n'a lui-même accompli ne serait-ce qu'un acte infime d'héroïsme.
«A la mémoire du Prophète arabe - Avril 1943».
Un gouffre s'est creusé entre cette nation et son passé. De même, il existe de nos jours un gouffre entre elle et les autres nations du monde. Cette nation poursuit un objectif qui, de prime abord paraît de double caractère. Elle veut s'élever et égaler son passé glorieux, et, en même temps, se développer et atteindre le niveau actuel des autres nations. Ainsi sa mémoire du passé et sa conscience du présent des autres nations constituent-elles une double incitation à se relever.
En d'autres termes, nous croyons que sa conscience de l'actualité et son souvenir du passé doivent lui fournir l'élan nécessaire et lui tracer la route.
«Le devoir de l'action nationaliste - 1943».
Nous ne devrions pas oublier que, dans le passé, la civilisation arabe ne put être réalisée qu'à la faveur d'une période de combats s'étalant sur plusieurs décennies. Ces combats furent le levain spirituel et constituèrent le trésor moral qui permirent l'expansion des Arabes, qui se mêlèrent à des peuples divers, d'un niveau culturel élevé. Malgré cela, ils conservèrent leurs propres capacités de création et d'invention.
«Le parti du bouleversement - Février 1949».
Notre passé fut bouleversement. Nous ne l'égalerons que par le bouleversement. Le nouveau bouleversement s'exprime par une marche consciente et fidèle vers les sommets où toutes les contradictions se résolvent et où les contraires s'unissent, où la nation se réconcilie avec elle-même en créant et en transmettant son message.
«Les significations du bouleversement - Février 1950».
Le passé, comme réalité de l'âme arabe, comme réalité toujours présente de l'âme arabe, ne peut revenir, ne peut redescendre pour nous rejoindre. Il faut que nous nous dirigions vers lui d'une manière progressiste et ascendante. Pour aller vers lui, nous devrons emprunter une route rude et pénible; ainsi cultiverons-nous en nous-mêmes les vertus, les dons et les forces qui nous permettront enfin de le comprendre. Alors, parvenant au bout du chemin, nous pourrons nous fondre en lui. La marche en avant, la progression ascendante sur la route du bouleversement, nous offre l'unique chance de rencontrer notre passé, rencontre qui ne peut avoir lieu que sur les sommets. Si nous descendions, si nous nous engagions sur la route qui mène vers le bas, si nous nous livrons à l'inertie ou à l'immobilisme, nous ne l'atteindrions jamais.
«La signification du bouleversement - Février 1950».
Notre attachement à l'esprit de la nation et à notre patrimoine fortifiera notre volonté, raffermira notre marche en avant et garantira notre orientation, car, sûrs de nous confondre avec l'esprit de la nation, nous n'aurons plus aucune raison d'être irrésolus. Quand nous partons d'une position solide, que nous sommes imprégnés de l'esprit de la nation et que nous avons une claire vision de nous-mêmes, et conscience de nos besoins, alors les idées artificielles n'ont plus de prise, et il est aisé de repousser la tentation d'imiter les autres. Alors nos idées nous appartiennent en propre, et deviennent créatives, dans la mesure où elles sont inspirées par nos vrais sentiments et nos vrais besoins. La prise de conscience des relations profondes qui existent entre le nationalisme et la nation nous ouvrira les yeux sur la navrante situation présente et révélera le contraste qui existe entre notre réalité et notre vérité. Ainsi pourrons-nous prendre en charge la responsabilité du salut de la nation et donc parvenir au bouleversement.
«La relation qui existe entre l'arabisme et le mouvement du bouleversement - 1950».
Ce passé dont nous avons la nostalgie et qui recelait la force des Arabes, leur liberté et leur renaissance historiquement, qu'est-ce donc, sinon un progressisme courageux et vrai comparé aux modes de pensée et aux conditions qui prévalaient avant lui?
«Le progressisme est la seule manière de reprendre contact avec notre passé. Al-Baas" - 7 Février 1950».
En conséquence, notre force n'est pas seulement la force du plus grand nombre, mais encore la force de l'histoire arabe, puisque nous avançons dans le sens de l'authenticité spirituelle arabe et que nous agissons en nous inspirant de ce que nos ancêtres héroïques nous ont toujours commandé, et de l'idéal qu'ils avaient de la nation.
«Le Baas arabe est la volonté de survivre • Avril 1950».
Trois forces fondamentales suffisent à emplir nos coeurs de confiance et de détermination et à nous servir de point d'appui: la force du peuple arabe à l'heure présente, la force de notre histoire et la force de l'histoire de l'humanité qui mène à la liberté, au socialisme et à l'unité.
«Le Baas arabe manifeste la volonté de survivre, - Avril 1950».
On pourrait soutenir que la Syrie constitue le carrefour ou se rencontrent les courants qui préoccupent de nos jours les Arabes. Elle subit l'impact de la culture occidentale, tout en restant fidèle aux sentiments et aux souvenirs arabes. C'est pour cette raison que toute interaction entre la Syrie et la culture moderne agite la conscience arabe et mène à une nouvelle expression de cette conscience, éveillée à un nouveau mode de vie.
«Les Arabes entre leur passé et leur avenir - 1950».
Ce ne sont pas les à-coups de la libération qui nous menacent de destruction, quoi qu'en dise la clique des exploiteurs et des conservateurs; ce sont les fausses directives qui retardent la délivrance des forces vives, que le milieu conservateur a emprisonnées, et qui retardent leur libération sous des prétextes mensongers superficiels et décadents.
«Les Arabes entre leur passé et leur avenir - 1950».
Toute définition de l'âme et des valeurs s'y rattachant qui ne tiendrait pas compte de la place essentielle qui revient aux facteurs économiques, qui sous-estimerait leur importance et leurs conséquences, ne serait qu'une définition incomplète et inadéquate. Le danger pour l'âme ne vient pas de ceux qui la nient ou s'élèvent contre elle, mais plutôt de ceux qui la défigurent et dissimulent certains de ses aspects primordiaux. Insister sur les valeurs spirituelles en se contentant de belles paroles et de principes abstraits en se réfugiant dans l'abstraction, en se refusant à faire face aux vérités essentielles ou à transposer les principes dans la réalité, équivaut à une trahison ou à un reniement de l'âme, tout en affirmant le contraire, c'est à dire en masquant de sombres desseins.
«Les Arabes entre leur passé et leur avenir - 1950».
Le Baas est un mouvement nationaliste qui s'adresse à tous les Arabes, de toutes les religions et de toutes les sectes, sanctifie la liberté de croyance et considère avec un égal respect et une estime égale toutes les religions. Mais il reconnaît à l'Islam un aspect nationaliste qui a joué un rôle essentiel dans la formation de la nation arabe et de son histoire. Le Baas estime que cet aspect est intimement lié à l'héritage spirituel des Arabes et au caractère spécifique de leur génie. Le Baas est le premier mouvement qui ait rendu clair ce lien, et qui lui ait donné son expression définitive. Ainsi put-il résoudre une crise fort ancienne et épargner au nationalisme arabe deux conceptions déviationnistes: un nationalisme abstrait entraînant pour elle l'appauvrissement et des vues superficielles, et un nationalisme purement religieux, qui la voue aux contradictions et à la stérilité.
«Les Arabes entre leur passé et leur avenir - 1950».
La religion est une source jaillissant de l'âme. En souhaitant la laïcisation de l'Etat, nous visons surtout à libérer la religion des exigences et des contingences de la politique. Ainsi pourra-t-elle librement s'exprimer dans la vie des individus et de la société, imprégnant chaque esprit de manière profonde et authentique, condition préalable et nécessaire de la renaissance de la nation.
«Les Arabes entre leur passé et leur avenir - 1950».
Rien de plus naturel que ce soit la génération révolutionnaire, celle qui s'est révoltée contre un monde ancien et corrompu, qui soit la plus proche de l'Islam, la plus sensible et la plus active. Pourtant, ce fait passe inaperçu; en d'autres termes, la génération révolutionnaire, ni dans sa totalité ni même dans sa majorité, ne reconnait pas ce lien, tandis que ceux qui s'en glorifient et s'y accrochent sont les ennemis de la révolution, les représentants d'une situation ancienne qui doit disparaître pour que la nation arabe puisse assurer sa renaissance.
«Notre point de vue sur la Religion - Mars 1956».
Quand nous considérons l'histoire de l'humanité depuis les temps les plus anciens jusqu'à nos jours, la religion nous apparaît comme jouant un rôle fondamental dans la vie de l'homme. Aussi repoussons-nous le cynisme de mauvais aloi qu'affichent à cet égard des gens jeunes mais superficiels. Il faut prendre au sérieux la question religieuse, et on ne saurait la régler avec des phases ou des jugements hâtifs et superficiels. Mais il faut distinguer la religion qui poursuit des objectifs profonds et authentiques de la religion récupérée, telle qu'elle apparaît dans certaines conceptions, conventions, habitudes et intérêts, en certaines occasions et en certains endroits.
«Notre point de vue sur la Religion - Mars 1956».
Imaginons les premiers Musulmans qui connurent le combat au nom des principes et qui surmontèrent toutes les difficultés en leur nom, qui triomphèrent des épreuves et en payèrent le prix; imaginons cette communauté, ou certains de ses membres, apparaissant soudain au sein de la vie arabe actuelle... Imaginons-les avec leur état d'esprit révolutionnaire, leur combativité, leur sens aigu du Droit et leur conviction que la justice est une chose sacrée qu'il ne suffit pas de connaître, mais qu'il faut enseigner aux autres, pour laquelle il faut être prêt à mourir afin que les autres y aient accès. Car tel était l'état d'esprit des croyants à l'appel du juste. S'ils revenaient parmi nous, quel milieu leur paraîtrait-il juste et à quel milieu feraient-ils confiance? Où se sentiraient-ils chez eux? Serait-ce du côte de l'injustice sociale, parmi les hommes riches et distingués de notre société, parmi les exploiteurs du peuple qui dorment paisiblement tandis que quatre-vingt-dix pour cent de notre peuple vit dans la misère, est en proie à la déchéance physique et est dépouillé de sa dignité? Pourraient-ils cohabiter avec cette classe d'exploiteurs qui occupe les postes dirigeants? Vivraient-ils avec ceux qui soutiennent cette classe sous n'importe quel prétexte, parfois même au nom de la religion?
Je suis persuadé que si les premiers Musulmans revenaient parmi nous aujourd'hui, ils ne trouveraient la vie supportable que dans les villages sombres et misérables, parmi les opprimés qui subissent l'esclavage, parmi les combattants qui sont dans les prisons, parce que ceux qui défendent la justice ne peuvent que se placer du côté de la justice, en tous temps et en tous lieux.
«Notre point de vue sur la Religion - Mars 1956».
Nous n'approuvons pas l'athéisme et nous ne l'encourageons pas. Nous le considérons dénué de toute authenticité. C'est une prise de position fausse, maléfique et trompeuse, car vivre signifie croire, et l'athée nous leurre lorsqu'il dit une chose et en croit une autre... Car il est évident qu'il croit en certaines choses, en certaines valeurs. Nous considérons l'athéisme comme un symptôme pathologique, et il faut en découvrir les causes pour y porter remède. Il ne faut point avoir recours à la répression, car celle-ci ne ferait pas reculer l'athéisme, mais au contraire contribuerait à son développement. Mais si nous découvrons las causes de l'athéisme, nous pourrons faire en sorte qu'il disparaisse.
J'ai affirmé que l'athéisme relevait d'une attitude fausse, voulant dire par là que l'athée ne faisait pas coïncider ses actes et ses paroles. La révolte contre la religion en Europe est en elle-même une religion. Elle s'inspire d'idéaux et de valeurs humaines. En fait, nous pourrions l'assimiler à un authentique mouvement religieux. Il ne fait pas de doute que cette révolte portait en germe une créativité et un esprit de réforme qui lui ont permis de bouleverser les sociétés et les individus, de les amener à se mieux connaître et à découvrir les supercheries avec lesquelles on les avait si longtemps bernés. Elle les a délivrés, elle a libéré leur sens de l'humain et leur individualité. Une telle attitude est cependant inadéquate. Car la révolution, en les incitant à rejeter la religion, ne leur a révélé que la moitié du problème. Il est vrai que, dans l'état actuel des choses, la religion pose problème, et contribue à augmenter leur misère et leur servitude; mais lorsque les peuples seront vraiment éveillés et quand ils auront récupéré leur dignité, l'athéisme ne leur suffira plus. Ils devront faire un pas de plus. Ils retrouveront alors ce qui leur manque: une religion saine, claire, juste, en parfaite concordance avec ses objectifs premiers.
«Notre point de vue sur la Religion - Mars 1956».
Par conséquent, le communisme, bien qu'il atteigne souvent à une certaine profondeur, n'est pas profond sous tous ses aspects. Dans bien des cas il reste négatif. Il a observé, fort justement d'ailleurs, que la religion en Europe était devenue une arme aux mains des oppresseurs, des exploiteurs et des impérialistes, destinée à maintenir le peuple sous le joug de l'exploitation et de l'esclavage.
Cette observation était juste, exacte et réaliste. Le marxisme a donc affirmé que la religion était l'opium du peuple, une drogue, un poison visant à rendre le peuple incapable de faire la révolution. Il a fait de l'athéisme une croyance, un refus de tout ce qui dépasse le domaine des perceptions sensorielles. Il s'agit là d'une vue subjective, bourrée de préjugés et de hargne, qui est la conséquence des souffrances dues à l'injustice. Le vrai message de la religion et son originalité était qu'il apportait la justice et voulait supprimer toutes les formes d'injustice, même si, depuis lors, la religion est devenue un moyen d'oppression dont, selon le marxisme, il convient de débarrasser l'humanité.
«Notre point de vue sur la Religion - Mars 1956».
Il y a, dans notre histoire nationale, un événement de première importance: l'émergence de l'Islam. C'est un événement de portée à la fois nationale et internationale. Je n'ai pas constaté que la jeunesse arabe ait accordé à cet événement toute l'importance qu'il méritait. Je ne vois pas les jeunes se pencher sur ses enseignements pour les assimiler et tenter d'en pénétrer le sens. Pourtant l'Islam renferme une grandeur infinie et représente une expérience humaine considérable, qui pourrait les nourrir et enrichir leur éducation pratique et politique. Pour la jeunesse arabe, il pourrait être la source de tout enrichissement.
«Notre point de vue sur la Religion - Mars 1956».
Le marxisme est basé sur le refus et la négation de toute croyance transcendantale, se basant exclusivement sur la nature, la matière et les perceptions. Il ne s'agit pas d'une incapacité à comprendre, de la part du marxisme. Il faut voir une motivation pratique derrière cette prise de position. Tout au long de l'histoire, et plus particulièrement à l'époque moderne, où s'aggravèrent les différences de classes et l'exploitation de classe, on utilisa la religion pour perpétuer et renforcer l'exploitation, l'on s'en servit pour empêcher l'émancipation des hommes et elle se trouve donc du côté des forces rétrogrades, de l'oppression et de l'injustice. Alors le marxisme se vit contraint de l'expulser. On le voit, la raison était d'ordre pratique et ne provenait nullement d'une incapacité à comprendre l'importance de la religion ou sa vraie nature. Malgré son réalisme, nous ne pouvons approuver ce point de vue. Il reflète un manque de confiance dans l'homme, le supposant incapable de faire face à la vérité tout entière. Quoique nous adoptions parfois une attitude critique à l'égard de la religion, et que nous sachions tout le parti réactionnaire qu'on peut tirer de son existence, la transformant en auxiliaire de l'injustice, de l'arriération et de l'esclavage, nous faisons confiance à la capacité des hommes de se révolter contre l'usage abusif qui est fait ainsi de la religion et contre une religiosité falsifiée et distordue, tout en reconnaissant dans la vraie religion tout l'intérêt et tous les soins qu'elle mérite.
«La question religieuse et le Baas - Avril 1956».
Nous considérons que réaction religieuse et réaction sociale sont une seule et même chose au service d'intérêts communs, et que leur alliance représente le plus grave danger pour la religion. De nos jours, la réaction porte le drapeau de la religion, commerce avec elle, l'exploite, repousse en son nom tout effort de libération, tandis qu'elle se sert d'elle, en toute occasion, pour entraver la nouvelle marche en avant. Sans nous et sans notre mouvement, la société arabe serait menacée de se voir défigurée par l'athéisme. Grâce à notre résistance contre la réaction religieuse, sans compromis et sans relâche, grâce à notre position ferme et courageuse face à cette réaction, nous sauvons la société arabe de la mutilation que serait pour elle l'athéisme.
«La question religieuse et le Baas - Avril 1956».
Un mouvement doctrinal ne peut se développer s'il brise avec son héritage et avec son passé. Cela ne signifie pas que nous devions ne plus bouger par rapport au passé, mais qu'il nous faut conserver avec lui un lien vivant et conscient, de sorte que nous puissions réaliser l'unité du parti, assurer sa marche en avant et la justesse de son orientation.
«Discours aux sections du parti dans les campagnes syriennes - 18 Janvicr 1966».
Le Baas, il y a un quart de siècle, fut le premier à reconnaître tout ce qu'il devait à une autre valeur précieuse, une valeur spirituelle: la religion. Nous avons montré ses aspects créatifs, réels et positifs, alors que les autres mouvements progressistes dans le monde dénonçaient dans la religion un simple moyen de tromper le peuple, une arme entre les mains des exploiteurs et des oppresseurs du peuple. Ils voyaient en elle une drogue capable de le désorienter et de tuer en lui tout esprit de révolte ou de lutte. Le Baas vint et entama son combat et son histoire en dévoilant le vrai caractère de la religion, en particulier en la rattachant au grand héritage de la Nation arabe et au message éternel dont nous avons lieu d'être fiers. Alors, frères, pourquoi ne voyons-nous pas les trésors révélés par notre parti? Pourquoi hésitons-nous encore à apprécier ces valeurs?
«En souvenir de la Révolution de Ramadhân - 8 Février 1965».
C'est notre parti qui révéla l'aspect positif de la religion dans les pays sous développés. Il affirma que tout dans la religion ne s'était pas rangé aux côtés de la réaction, et qu'on pouvait y découvrir des aspects révolutionnaires. Nous constatons aujourd'hui que les mouvements politiques d'Afrique et d'Asie se rapprochent de notre position. Lisez, frères, les écrits des penseurs africains et vous verrez qu'ils rejoignent les idées que nous défendons depuis un quart de siècle.
«Discours aux sections du parti dans les campagnes syriennes - 8 Janvier 1966».
Si certains nationalismes ont choisi la voie du sectarisme et de l'oppression, devons-nous nécessairement suivre le même chemin? Notre nationalisme est garanti par notre passé, qui recèle un message universel. C'est là une chose que les Arabes possèdent en propre. Leur message est de nature spirituelle et le nationalisme est pour eux le moyen de réaliser ce message. Ayant souffert de l'injustice, de la faiblesse, du morcellement et de la domination étrangère, notre peuple se présente comme le défenseur des opprimés. Il le fait par analogie et par sympathie, car, mieux que quiconque, il peut comprendre l'injustice dont les autres sont victimes.
«La pensée abstraite - 1943».
L'immortalité n'est pas un mouvement du présent vers l'avenir, mais l'introduction de l'avenir dans le présent. Les héros de l'arabisme, au temps jadis, n'ont pas acquis l'immortalité en accomplissant des exploits mémorables, ils ont accompli ces exploits parce qu'ils vivaient déjà dans les sphères de l'immortalité.
«La nouvelle génération arabe - 1944».
La nation qui s'est exprimée et qui a exprimé son sens de la vie de multiples manières, que ce soit dans les Codes d'Hammurabi, la poésie de La Jâhiliyah (préislamique), la religion de Mouhammad ou la culture de l'époque d'Al-Ma'moun, éprouve un sentiment unique qui, d'âge en âge, la soutient et la mène vers un objectif unique, en dépit des périodes de stagnation et de déviation.
«A propos du Message arabe - 1946».
Nous croyons que l'arabisme (Urûba) est supérieur à toute autre chose, c'est-à-dire qu'il est au-dessus des intérêts particuliers, des égoïsmes, des considérations fausses et éphémères. Mais il est une chose qui est au-dessus de l'arabisme même c'est le Droit. L'arabisme doit se relier à un principe immuable pour garantir sa renaissance, son intégrité, sa vie dans la croissance et son expansion. Notre devise devrait donc être que le Droit est au-dessus de l'arabisme, jusqu'au jour où le Droit et l'arabisme ne feront qu'un.
«A propos du Message arabe - 1946».
Le message arabe éternel consiste à saisir le moment présent, à répondre à son appel et à ses exigences. L'immortalité n'est pas une chose au-delà de l'horizon ou au-delà des limites du temps. Elle jaillit des profondeurs du présent. Si les Arabes la comprennent vraiment et la vivent avec fidélité, ils pourront accomplir leur mission éternelle. Lorsqu'ils auront assimilé cette expérience et l'auront vécue jusqu'au bout, lorsqu'ils auront surmonté leur faiblesse, ils n'édifieront pas seulement leur nation, ils ne constitueront pas seulement leur entité nationale, mais, grâce à leur expérience, ils pourront offrir à l'humanité entière les moyens nécessaires pour qu'elle remplisse sa plus haute et sa plus réelle mission.
"A propos du Message arabe - 1946".
Frères! Au moment où nous sommes submergés par les vagues du pessimisme et du défaitisme, qui grossissent à mesure que les calamités et les désastres s'abattent sur nous, les vrais Arabes doivent sentir que le moment du salut approche. En effet, des chocs successifs ont ébranlé le psychisme des Arabes, les ont émus, les ont amenés à prendre conscience de leur existence et de leurs devoirs, à s'élever dans la vitalité et la foi, à découvrir la douceur du sacrifice et des souffrances dans l'accomplissement de leur mission. Dans ces jours de pessimisme et de désastre, le vrai croyant doit se manifester, car la vraie foi ne peut être acquise que par l'expérience et la souffrance.
"La signification du message éternel - 1950".
Nous luttons et nous combattons contre l'émiettement de la nation arabe en petits Etats artificiels et fabriqués, avec, pour objectif de réussir à unifier ces morceaux épars pour en faire un Etat sain et conforme à la nature, dans lequel aucune fraction ne pourrait parler au nom de l'ensemble. Quand nous nous libérerons de cette situation contra nature, alors les Arabes retrouveront leur âme, leurs idées seront purifiées et leur sens moral sans tache. Devant eux s'étendra un large horizon incitant leur esprit à la création. Car ils formeront alors une entité équilibrée et saine, ils seront devenus une nation. Tel est l'espoir authentique et vivifiant qui nous permettra de tenir dans les conditions actuelles, jusqu'à ce que nous en soient offertes de plus favorables. C'est en cela que consiste la mission arabe, et l'on peut définir une mission comme étant ce qu'une fraction de l'humanité est susceptible d'apporter à l'humanité entière. S'il s'appuie sur l'étroitesse d'esprit et l'égoïsme, ce message perdra sa signification, qui est d'être éternel, humain et largement ouvert à tous.
«La signification du message éternel -1950».
Le message arabe n'est pas fait de paroles que nous chantons. Il n'est pas composé de principes inscrits dans notre programme ou d'articles de lois. Toutes ces choses sont stériles et fausses, car, avant que nous soyons en mesure de légiférer, inspirés par notre message, il nous faudra parcourir une longue distance et franchir un profond fossé.
Qu'est donc notre message? Notre message est notre vie même. Cela signifie que nous devons accepter l'expérience de la vie, que nous devons acquérir une expérience exceptionnelle, profonde, authentique, à la mesure de la grandeur de la Nation arabe, égale aux malheurs subis par les Arabes, aux dangers qui menacent la nation. C'est là que prend corps l'expérience véritable et vivante qui nous ramènera enfin à nous-mêmes, à notre réalité vivante, nous confiera nos responsabilités et nous indiquera le droit chemin, afin que nous puissions vaincre tous les maux, surmonter tous les obstacles et triompher de l'injustice sociale.
«Sur la signification du bouleversement - Février 1950».
La vie ne peut toujours être la proie des contradictions. Elle doit trouver le moyen de les résoudre. Elle le peut soit en étouffant les désirs que l'on a de remplir sa mission et d'atteindre pleinement son objectif, ce qui revient à succomber, soit en mettant en oeuvre toutes les forces susceptibles de répondre aux aspirations de la nation à une existence authentique. Il s'agit de transposer nos aspirations du domaine sentimental, qui s'exprime par de simples voeux, à celui où les volontés, les forces et les intérêts vitaux agissent les uns sur les autres pour faire surgir le potentiel national qui est contenu en chacun d'eux.
«La lutte entre l'existence superficielle et la vie authentique».