Choix de textes

Michel Aflak


La liberté et le rôle des masses

 

 

Nous revendiquons l'indépendance et la liberté parce qu'il s'agit d'une cause juste, et parce qu'elles sont les moyens de libérer les dons et capacités créatrices qui nous permettront de réaliser sur ce sol, qui est notre terre, notre objectif et celui de chaque homme, l'humanité entière.

«L'âge de l'héroïsme - 1931».

 

Le gouvernement peut emprisonner, exiler et persécuter un individu ou des individus, mais que peut-il faire devant une nouvelle génération qui, dans son ensemble, met au-dessus de tout les qualités morales et la nostalgie de l'héroïsme, qui a juré que l'arabisme aurait un autre visage que celui que les politiciens lui ont donné; une génération pour qui l'éthique nationale a un autre sens que celui des politiciens professionnels?

«Nous mettons en garde la clique dirigeante afin qu'elle cesse sa politique - 14 Mars 1945».

 

Il nous faut réaffirmer un fait imposé par la réalité de la politique arabe actuelle, confirmé quotidiennement par les événements et qui s'impose chaque jour davantage: le patriotisme, la loyauté à l'égard des principes de l'indépendance et la fidélité à ces principes, que ce soit en Syrie ou dans toute autre région arabe, mais en Syrie plus qu'ailleurs, ce patriotisme a rejoint les rangs de l'opposition, car le régime est devenu suspect.

«L'opposition et la cause arabe. "Al-Ba'th" - 21 Juillet 1946».

 

La liberté ne dépend pas des articles de la Constitution ou des textes de lois. Elle ne sert pas à inspirer des discours ou des écrits; elle est avant tout action. Elle ne pourra entrer dans nos vies que si nous donnons nos vies pour elle. Nous ne contraindrons nos dirigeants à la respecter et le peuple ne sera conscient de sa valeur et de son caractère sacré que dans la mesure où elle deviendra pour nous une «guerre sainte» et que nous saurons la défendre jusqu'au martyre.

«Pourquoi nous aspirons à la liberté. "Al-Ba'th - 9 Août 1945».

 

Lorsque nous aspirons à la liberté, ou lorsque nous la défendons, nous ne nous attachons à quelque chose de théorique, sans rapport avec la réalité. La liberté rend les êtres conscients, qui peuvent savoir ce qu'il advient de leur pain quotidien, comment leurs richesses et les fruits de leur travail sont gâchés, pourquoi les gouvernants manipulent les fonctionnaires, corrompent les consciences et détruisent l'efficacité; comment ils avilissent l'honnêteté afin de gagner les élections. Pourquoi ils gardent la mainmise sur le pays, interdisant tout progrès, imposant la dégénérescence morale et la faillite matérielle.

La liberté est la pierre de touche qui permet au peuple de mesurer la qualité de son indépendance, s'affermir sur les positions acquises et aussi découvrir les imperfections de cette indépendance et les dangers extérieurs qui la menacent. Alors le peuple connaîtra les raisons de la réelle négligence avec laquelle est traité un problème aussi vital que la cause palestinienne, et il découvrira le secret de l'hégémonie étrangère sur la politique arabe et combien nous sommes limités et ligotés par cette influence. Le peuple réalisera quel grand degré d'influence ont les sociétés étrangères dans notre pays, il saura qu'elles se nourrissent de nos biens et de notre richesse; il prendra conscience de l'oppression à laquelle sont soumis nos travailleurs et des conspirations que ces sociétés ourdissent contre nous, pour réduire notre indépendance à un corps saigné à blanc, à un squelette sans vie.

«Pourquoi nous aspirons à la liberté. "Al-Ba'th" - 9 Août 1946».

 

Cette indépendance dont jouit la Syrie, tous les Arabes y ont contribué; aujourd'hui ils l'admirent et placent leurs espoirs en elle. Quant à nous, enfants de la Syrie, nous avons lutté pour cette indépendance et nous nous sommes réjouis de l'obtenir parce que nous voyions en elle un moyen et un chemin menant à la libération et à l'unification des régions arabes. Mais le gouvernement syrien n'a montré que le côté négatif de cette indépendance. Les étrangers ont évacué le pays, mais leur évacuation n'aura servi à rien si elle n'implique pas la destruction des barrières qu'ils avaient élevées entre le peuple et ses objectifs. Le peuple de Syrie ne croira à cette indépendance que dans la mesure où il y verra la possibilité de réaliser son désir de se porter au secours de ses frères arabes partout où ils souffrent de l'injustice. Quand donc notre indépendance méritera-t-elle cette signification forte et positive?

«Les Arabes et l'unité. "Al-Ba'th" - 12 Août 1946».

 

Les Arabes possèdent une grande liberté. Elle est la source et la garantie de toutes leurs libertés: c'est la liberté nationale qui les protège de l'esclavage, met à l'abri du pillage des étrangers les fruits de leur terre, et empêche leur esprit et leurs qualités spécifiques d'être étouffés ou détournés. Ce type de liberté peut leur permettre de reprendre en main leur propre destin.

«La nation arabe réclame une action populaire. "Al-Ba'th" - 11 Mars 1947».

 

Si la question nationale nous préoccupe vraiment et sincèrement, nous devons prendre conscience de la réalité de notre condition avec courage et perspicacité.

Si nous n'agissons pas avec décision, avec vaillance et persévérance, si nous n'en finissons pas avec la vieille mentalité qui nous faisait voir dans le peuple un troupeau d'êtres humains que l'on pouvait diriger à sa guise, détourner de sa route et abrutir comme des drogués, si nous ne rompons pas avec cette manière de voir, brutalement et sans délai, nous allons nous trouver en danger, en danger d'agression étrangère, parce que le peuple privé de vie propre et de liberté est incapable de défendre son sol. L'autre danger, qui pourrait être pire que le premier, serait de rester stériles et desséchés, incapables de construire et de créer.

«La nouvelle génération et la société arabe de l'avenir. "Al-Ba'th" - 27 Février 1948».

 

Ta lutte contre le despotisme t'a valu un résultat inappréciable, car elle a contraint les hommes au pouvoir à retirer le dernier masque qui dissimulait la réalité. Ces hommes t'ont manipulé en se servant des méthodes haïssables de l'impérialisme. Aujourd'hui, une nouvelle bataille t'attend, la bataille pour ta liberté sacrée. En la livrant, tu apprendras une chose: la liberté est action et combat, et tous deux aiguisent ta conscience de l'importance de la liberté et de la loyauté qu'on lui doit, te procurant une expérience vécue dans la lutte, jusqu'à ce que la liberté puisse être enfin accomplie totalement sous tes yeux, lorsque tu en auras payé le juste prix.

«Le peuple doit choisir entre liberté et esclavage. Déclaration distribuée publiquement - 13 Mars 1948».

 

Si je me défends et si je plaide, alors que l'injustice dont j'ai été victime est patente, de même que sont patentes les pressions qui ont été exercées par l'exécutif sur les autorités judiciaires, c'est que je désire garder une attitude optimiste à l'égard de l'appareil judiciaire. Je suis en effet persuadé que, dans les circonstances présentes, cet appareil est lui-même victime, comme moi-même et comme le peuple tout entier. En vérité, nous sommes tous au banc des accusateurs, face à la clique dirigeante. Pourquoi donc éprouverions-nous de la rancoeur à l'égard de l'autorité judiciaire? Mais nous refusons qu'elle accepte le statu quo, ce qui équivaudrait à une capitulation pure et simple. Le système judiciaire est une force à laquelle nous devrions pouvoir faire confiance. Ses membres doivent être assimilés à des éducateurs du peuple à travers les jugements qu'ils rendent et le souci qu'ils ont de la justice. En cela ils sont des maîtres. Pour ma part, j'accepte le sacrifice. Pourquoi ne le réclamerais-je pas aux frères et amis qui, de par leur profession, se trouvent occuper des positions dans le système judiciaire? Pourquoi ne leur demanderais-je pas d'apporter la preuve qu'il existe, dans cette nation, un état d'esprit invincible, se refusant à toutes les capitulations?

«Défense devant la Cour d'appel - 30 Octobre 1948».

 

Quelle liberté pourrait être plus noble et plus grande que celle de lier son destin à la renaissance de la nation et à sa révolution?

«L'expérience des plus âgés et l'audace des jeunes - 1955».

 

La doctrine et les doctrinaires ne peuvent maîtriser la corruption qui prévaut dans la situation actuelle, face aux pouvoirs politiques et sociaux mensongers qui se manifestent chez nous, à moins que la doctrine ne s'incarne dans des actes tangibles. La doctrine ne peut conquérir son unique justification, c'est-à-dire la liberté, qu'à la condition qu'elle parvienne à égaler les pouvoirs corrompus que nous subissons, à les dépasser et à s'imposer à eux. Elle ne peut s'imposer aux pouvoirs corrompus par des mots, en répétant des slogans, par des dénonciations, des protestations etc.. Nous ne pouvons confronter les pouvoirs corrompus et les vaincre que par l'action positive, s'exprimant dans les faits et non par la répétition de slogans et de paroles fumeuses.

«Le devoir des membres. Le sérieux des responsabilités du parti - Avril 1955».

 

L'unique façon de parvenir à la libération et à l'unification de la patrie arabe est de permettre aux masses populaires d'accéder à la direction du pays, de remettre en leurs mains les affaires du pays, car seules les masses possèdent la volonté, l'intérêt et le potentiel nécessaire pour réaliser l'indépendance des Arabes, l'unification de leur patrimoine et le renouveau de leur société.

«La lutte entre l'existence superficielle et la vie authentique».

 

Dans le monde, l'heure des masses est venue. Les vraies masses sont les peuples d'Asie et d'Afrique, qui ont subi la défaite, fait l'expérience de l'esclavage imposé de l'intérieur ou de l'extérieur, connu l'injustice pratiquée chez soi ou venue de l'étranger. Contrairement à ce qui s'est passé en Occident, où la révolution des classes exploitées contre leurs exploiteurs s'est limitée à des revendications matérielles, et ne s'est, somme toute, pas opposée à l'exploitation des peuples orientaux par l'impérialisme (les masses occidentales ont même participé indirectement à cette exploitation), contrairement donc à ce qui s'est passé en Occident, la révolution des peuples orientaux se caractérise essentiellement par son aspect humain et libérateur. En effet, ces peuples se soulèvent contre l'impérialisme et toutes les formes d'injustice qui l'accompagnent. Alors que l'injustice n'affecte que certaines classes en Occident, l'Orient est constitué de peuples entiers souffrant de l'injustice. La nation arabe est l'un de ces peuples opprimés. Dans son expérience, on découvre les germes d'un nouveau message, qui s'adresse à toutes les nations, à l'humanité entière et non plus seulement à certaines classes sociales.

«La lutte entre l'existence superficielle et la vie authentique - 21 Janvier 1956»

 

C'est pour cette raison que notre parti a cru à la liberté et a concentré beaucoup de ses efforts pour son obtention. Son attachement à la liberté n'était pas un attachement à un idéal abstrait. En fait, ' le parti était profondément convaincu que la liberté est une garantie pratique pour assurer la continuité de la lutte, et pour la prémunir des rechutes et de l'immobilisme.

«Sur la situation en Egypte - 21 Janvier 1956».

 

Il est clair que la conception de certains partisans de la liberté est si superficielle qu'elle se confond avec cette prétendue liberté derrière laquelle se dissimulent les réactionnaires, les exploiteurs du peuple et les collaborateurs de l'impérialisme. Nous devons en prendre conscience, afin d'éviter ce danger, car la liberté est un principe qui réclame une adaptation pratique qui tienne compte des circonstances du moment. Pour ces motifs, nous devons nous débarrasser de la conception nébuleuse et vide de sens d'une liberté théorique qui ne ferait pas la différence entre le peuple et ses ennemis, entre les citoyens de la patrie arabe et les colonisateurs, entre ceux qui croient sincèrement à la liberté et ceux qui l'utilisent au bénéfice de leurs intérêts alors qu'ils restent ses ennemis irréductibles. Nous devons nous garder de cette conception dégradée de la liberté et de la démocratie.

La liberté que nous recherchons ne s'oppose pas à la législation et aux mesures ayant pour but de restreindre l'exploitation des féodaux, des capitalistes, des profiteurs et des opportunistes de tout bord. La liberté que nous recherchons n'entre pas en conflit avec les mesures et les lois visant à empêcher l'impérialisme de saboter notre existence, ou avec celles ayant pour but de prévenir l'infiltration de ses agents parmi nous, par l'intermédiaire de notre presse, de l'appareil de l'Etat et partout où il peut répandre ses poisons au nom de la liberté. Notre conception de la liberté devrait toujours être saine. Il s'agit d'une liberté nouvelle et rigoureuse, qui ne laisse rien passer sans vérification. Il ne s'agit pas d'un concept négatif, laissant la corruption suivre son cours et permettant au désordre d'augmenter. Notre conception de la liberté est positive et créatrice. C'est une liberté qui résiste aux pressions, à la confusion et aux complots fomentés par les ennemis de l'intérieur ou de l'extérieur contre notre existence nationale, et qui veille à ce que les conditions demeurent saines et propices à l'épanouissement et à la croissance de cette existence.

«Sur la situation en Egypte - 21 Janvier 1956».

 

La garantie pour tout gouvernement progressiste est qu'il soit ouvert à la liberté, qu'il aide le peuple à exercer ses droits et à participer à la conduite des affaires. Alors le peuple sera en mesure de reprendre la lutte contre toutes les institutions vétustes que le progressisme n'a pas réellement changées, encore qu'il ait modifié certaines de leurs conséquences, parce qu'il n'a pas arraché leurs racines les plus profondes.

«Sur le situation en Egypte - 21 Janvier 1956».

 

Quant à nous, nous croyons que la réponse aux atteintes à la liberté et aux falsifications n'est pas de renoncer à la liberté, mais de lutter pour qu'elle soit concrètement appliquée.

«Sur le neutralisme positif. Le Caire - Mars 1957».

 

La démocratie, la démocratie constitutionnelle qui ne s'accompagne pas d'une législation socialiste, est vide de sens et deviendrait vite une arme entre les mains des riches et des grands propriétaires leur permettant de continuer à exploiter le peuple. C'est là une chose que les peuples ont pu vérifier par leur propre expérience.

Il est vrai aussi que la dictature, même si elle s'exerce dans l'intérêt du peuple et au service exclusif du peuple, est un système précaire, mal adapté et se contredisant lui-même; en effet, les réformes réalisées par la dictature courent toujours le risque d'avorter ou d'être remises en cause, étant donné que ce régime ne permet pas au peuple de s'exprimer pleinement et de prendre la défense des réformes réalisées grâce à sa prise de conscience et comme conséquence de son combat.

«La nature du gouvernement en Egypte - Mars 1956».